Éditorial
L’organisation sociale d’une communauté humaine, en dehors des relations interindividuelles qui la façonne, suppose l’agrégation d’un ordre qui construit et régule tout processus qui concourt, soit à la formation des structures étatiques, soit à des structures simplement civiles. En fait, les rapports qu’entretiennent les individus entre eux sont souvent sujets à se détériorer dans des situations conflictuelles. Ces situations, incitent la mise en place d’un arbitre déféré sous le nom d’État et qui est apte à réglementer, à sanctionner, et à prescrire les droits de chaque sociétaire. Ce mécanisme de médiation s’installe dans la mise en œuvre de l’institutionnalisation des appareils administratifs qui encadre un système étatique. Dans ce système étatique, on trouve tout un organigramme de structures hiérarchiques régulés autour d’une législation constitutionnelle, délimitant et définissant s’il s’agit d’une république, le champs d’exercice des trois pouvoirs qui sont respectivement, les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
Dans la quasi-totalité des sociétés aux idéaux démocratiques, le pouvoir judiciaire est considéré comme le pouvoir initial, et même le maillon fondamental dans la constitution d’un État de droit. Car, c’est à lui qu’incombe toute la responsabilité de réguler tous les pans entiers d’une société par le truchement de son système juridictionnel en cohésion avec le pouvoir législatif. Cependant, on estime que très souvent le système judiciaire dans ses modalités d’application de la loi, et dans le sillage des mutations sociales peut présenter certaines faiblesses qui obstruent son fonctionnement. Le caractère perduratif de ces faiblesses entraine généralement un dysfonctionnement chronique, et celles-ci se concluent par des conséquences désastreuses aussi bien sur le système en question que sur l’État. Ici, en Haïti les débats sempiternels portant sur les pathologies du système judiciaire ne cessent de revenir que sur l’échiquier des médias, dans les discours des représentants de l’État haïtien, chez les justiciables et même dans la communauté internationale. En dépit d’une certaine connaissance des problèmes du système, ils se tendent, au vu et au su de tous, vers une constance qui devient systémique. L’affirmation du système judiciaire dans les affaires civiles, pénales et étatiques se manifeste par une semi inactivité en corrélation avec des problèmes d’ordres institutionnels, dont les répercussions se heurtent contre l’organisation même de l’État haïtien. Prenant une diversité de caractéristiques, ces problèmes se réfèrent en ce qui a trait notamment, sur l’indépendance judiciaire, sur la corruption, sur le manque de matériels et de techniques modernes en matière de vérification des preuves, la surpopulation carcérale, la dépendance financière du système sur le pouvoir exécutif et aussi, sur la sécurité des officiers de la justice pour ne citer que ceux-là. Ainsi donc, ce présent travail qui n’est nullement exhaustif nous permettra de nous accentuer d’une part, sur les causes majeures qui empiètent sur le fonctionnement du système judiciaire haïtien et d’autre part, dans un souci de compréhension de ces problèmes situationnels, nous proposerons une kyrielle de solutions relatives pouvant permettre de trouver une issue à ces difficultés.
Une vue d’ensemble sur les problèmes.
La justice est considérée selon Rawls comme la première vertu des institutions sociales. Elle se matérialise dans le pouvoir judiciaire qui, lui-même s’organise autour des règles et des principes qui dictent les aléas de son fonctionnement. Son incorporation s’ajuste dans un système qui regroupe l’ensemble des cours et tribunaux. En Haïti, l’organisation du pouvoir judiciaire se définit dans le décret du 22 août 1995. Ce décret établit un ensemble de lois qui prescrit les attributs de l’exercice du pouvoir judiciaire. Il a été adopté dans l’objectif de reformer le système judiciaire antérieur mais, à voir son effet il semble qu’il est resté dans un cadre plus théorique que pragmatique puisqu’aujourd’hui, le système demontre une volatilité en matière de distribution de la justice et aussi dans la façon dont ce dernier affiche un manque chronique de responsabilité dans le respect des droits humains. Ce qui a résulté en une perte de confiance de la population haïtienne en lui et dont celle-ci a développé en même temps très peu de rapport concomitant avec le système judiciaire et ce, en raison d’une accession à la justice qui est très restreinte. On préfère de résoudre les affaires dans une démarche traditionnelle axée sur la coutume que de faire appel aux postulats institutionnels de la justice. En fixant notre analyse sur les profondeurs des causes qui ont mutilé le système judiciaire haïtien on projette d’abord, notre regard sur les crises socio-politiques du pays et la montée de la violence qui a créé plus d’obstacles à l’accès à la justice. Partant de cela, cette dernière décennie a vu une détérioration plus spectaculaire au sein du système judiciaire bien que, cette situation se situe dans une lignée spatio-temporelle et dont la persistance dépasse un stade de non-contrôle. Cette détérioration s’explique premièrement par un sous-financement chronique, le système judiciaire se trouve dans l’impossibilité de fonctionner avec des ressources financières qui sont faibles ce qui fait que, le personnel de la justice développe peu d’intérêt à vouloir résoudre même les affaires les moins significatifs et, produit par la suite des périodes d’arrêt de travail pour contester le taux de salaires et les mauvaises conditions de travail. Bien que, le budget du CSPJ pour l’exercice fiscal de 2020-2021 a consacré plus de 35% de son actif pour les dépenses et autres mais il s’est annoncé insuffisant vu, toutes les tâches administratives qu’il doit combler. Ce qui revient à dire que, le système juridictionnel ne peut absorber plus de litiges sans une augmentation considérable de ses moyens techniques et financiers.
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Deuxièmement, le problème de la détention préventive prolongée joint à la lenteur des procédures est l’un des maux les plus criants dans le système judiciaire. Les détenus sont soumis à des conditions inhumaines surtout dans la période de la pandémie du Covid 19 ils ont été plusieurs à être infectés. Leur entassement dans des cellules qui ne respectent pas les normes internationales fait que bon nombre de prisonniers sont morts par des maladies bactériologiques et aussi par le traitement inhumain dans lequel ils sont soumis quotidiennement en matière de logement et de nourriture. La surpopulation carcérale à sa véritable cause dans la lenteur des procédures ; à telle enseigne qu’un détenu peu encaisser dix années de sa vie sans passer devant un juge de droit commun. Alors que, la constitution de 1987 amendée reconnait dans son art 26 que personne ne doit être retenu pendant plus de 48 heures sans voir un juge. Les procédures de suivi et de contrôle sont du moins, incorrect et trop rigide ce qui n’incite pas les juges à respecter les délais impartis et de faire progresser les affaires diligemment donc, ces enquêtes judiciaires trainent en longueur. De plus, le dossier des arrestations effectués par la police nationale sont souvent mal construit en raison d’une omission de l’un des éléments dans une infraction. Ce qui fait que, leur acheminement vers un tribunal quelconque est parfois ignoré et même délaissé pendant que, le présumé innocent est retenu dans un garde-à-vue pendant plusieurs jours ou peut-être même transféré dans une prison civile sans qu’un juge entende sa version des faits et, c’est ce qui va contribuer à la surpopulation carcérale.Troisièmement, ce qui entrave presque tout le fonctionnement du système c’est le manque d’indépendance. En dépit des principes démocratiques du gouvernement concernant la séparation des pouvoirs. Le pouvoir judiciaire n’est pas independant réellement or, l’art 60 de la constitution stipule l’autonomie des branches législatives exécutives et judicaires. La pénurie des ressources économiques fait que le système judiciaire dépende du pouvoir exécutif et entraine par la suite une mainmise de l’exécutif sur le judiciaire ; « c’est un système séquestré par la politique ». Par ailleurs, en mars 2015, le barreau de Port-au-Prince a adopté le premier code de conduite professionnelle d’Haïti invitant les avocats à exercer leurs fonctions avec dignité, indépendance, humanité et respect des principes d’honneur et de loyauté. Mais, tout le problème de l’indépendance judiciaire se trouve dans la corruption qui est l’un des obstacles qui empêchent la totalité de l’indépendance judiciaire, les allégations de corruption font rarement l’objet d’une enquête encore moins des sanctions parce que, les officiers de la justice ont les mains trempé dans les affaires louches et sont aussi complices de l’acceptation de pots de vin et du traitement préférentiel de l’Elite. L’ingérence de l’exécutif en ce qui concerne la prise de décisions d’un juge dans une affaire politique est aussi une autre cause des pathologies du système.
Ce manque d’indépendance alimente à son tour la violence matérielle et psychologique surtout dans les crimes politiques où les juges subissent des pressions d’atteinte à leurs vies comme dans l’affaire du bâtonnier Dorval, du président Jovenel Moise et autre, dont les juges ont subi des attaques. La violence et l’intimidation auxquelles sont confrontés les juges réduit la possibilité d’accès à la justice. Concrètement, la violence expose dangereusement la participation en toute sécurité et en toute liberté des acteurs principaux du système judicaire notamment, les juges, les avocats, les témoins et les victimes. A cela s’ajoute le partisanisme dont, les juges ne distribuent pas la justice proportionnellement mais, d’une manière partisane surtout, quand ils sont en présence d’un commis de l’État ou d’un bourgeois qui leur gratifie soit par des pots-de vin ou du moins utilisent leurs trafics d’influences pour récompenser ces juges de leurs tractations par des promesses de promotion. Cette situation dégénérative du système judiciaire conduit directement à l’impunité.
Durant ces quatre dernières années, la montée de la violence par la prolifération des gangs empêche le libre exercice des juridictions surtout pour celles qui sont dans ces zones à risques. Le climat insécuritaire qui s’installe dans l’aire métropolitaine et dans les régions avoisinantes ralentit le travail du personnel de la justice, ce qui produit par la suite d’interminables dossiers restés inachevés. L’autre aspect de la défaillance du système c’est la désuétude des instruments juridiques haïtiens notamment, le code pénal et le code d’instruction criminelle dont les procédures sont aujourd’hui obsolètes ce qui amène un dysfonctionnement au niveau de la chaine pénale. Bien qu’un projet d’un nouveau code pénal a été lancé depuis 2009 mais, jusqu’à date aucune démarche n’est entrepris par le gouvernement actuel juste après la publication du décret de rendre ces lois nouvelles applicables.
Le dernier facteur qui reste comme un handicap pour le système c’est, le faible niveau de la formation des acteurs par exemple les juges qui sont dans les secteurs ruraux, ce qui fait que, leur niveau de compétence dans des crimes d’atrocité et des crimes contre l’humanité est « relativement faible ». De même, les greffiers ont acquis une formation routinière dans une pile de paperasse. Il n’existe pas d’institution spécifique pour la formation des greffiers, l’on peut comprendre toutes les difficultés que ces derniers peuvent rencontrer devant des dossiers politiquement sensibles et grandement médiatisé.
En conséquence, de tout ce qui précède force est de constater que le système judiciaire nécessite des réformes urgentes tant qu’institutionnelles et administratives. Pour cela il faut de la part des dirigeants actuels et futurs une responsabilité liée à la restructuration de l’État droit en Haiti. Vu la complexité des problèmes il serait quasiment difficile de tout améliorer en un jour mais, si on connait par avance comment on va s’y prendre les problèmes sont déjà à moitié résolu donc, nos propositions de réforme du système judiciaire sont les suivantes :
Renforcer l’indépendance de la justice en mettant à la disposition du CSPJ les ressources humaines et matérielles nécessaires à son fonctionnement immédiat.
Assurer un système de justice transparent et audacieux en accordant une protection spéciale a ceux qui travaillent sur les crimes graves notamment, les commissaires de gouvernement, les juges, les témoins en améliorant les conditions de travail, et la sécurité de l’emploi et en surveillant le déroulement des activités à travers le CSPJ.
Assurer l’éducation adéquate de tous les acteurs de la justice en conformité avec le nouveau système en étendant et en accélérant la formation pour tous les juges. En rendant l’EMA pleinement fonctionnelle et en établissant des normes nationales pour le curriculum des écoles de droit,
Améliorer l’acces a la justice et promouvoir la résolution pacifique des différends dans les communautés rurales et bidonvilles où la violence règne en élargissant les services juridiques mobiles et en accroissant l’assistance juridique.
Mettre à la disposition de l’administration pénitentiaire des ressources matérielles, financières, et humaines nécessaires pour remplir efficacement sa mission notamment, pour lutter contre la surpopulation carcérale et en construisant de nouveaux prisons.
Achever la rédaction et faire voter la révision du code pénal et du code d’instruction criminelle et de la législation relative conformément aux normes internationales et dans les domaines de l’Habeas corpus et, après consultation.
Entamer une réforme du CSPJ en réorganisant la loi qui l’a institué ; promouvoir l’indépendance de ses membres tout en renforçant les normes d’éthiques.
« Il faut souligner que le système judiciaire sera performant lorsque le besoin de régulations des relations économiques et sociales le nécessitera ou, lorsque la poussée du peuple revendicatif et des nouveaux sujets de droit sera suffisamment conséquente pour obliger le respect des règles ».
Un texte d'Érica VICTOR
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Bon travail Erica
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